Du bleu au blé

Chroniques d’un apprenti boulanger : semaine 2

Mardi 9 septembre 2025, 2h30 : Une nouvelle semaine commence, toujours autant excité de me lever, seule la perspective d’enchainer avec mon « vrai » travail assombri un peu le tableau. Mais ça je le savais avant de commencer, il va falloir serrer les dents quelques mois et jongler entre la préparation de mon futur professionnel et la nécessité de subvenir à mes besoins (loyer, nourriture, etc). Tout ne peut pas se faire en un claquement de doigt, il faut faire des sacrifices. Je pense que j’en parlerai dans un article ultérieurement.
Je suis content car aujourd’hui je vais utiliser le laminoir à nouveau, je ne sais pas pourquoi mais j’ai une fascination pour cette machine. Avec E. on va détailler du croissants et du pains au chocolat ! Mais avant ça, il faut débaquer la pâte à croissant (PLF) qu’il a pétri avant que je n’arrive. Cette pâte est faite à base de farine de gruau, c’est une farine dite « de force » qui contient beaucoup de gluten (protéines) et qui permet donc de retenir les gaz de fermentation. La cuve du pétrin pèse déjà le poids d’un âne mort, à ça il faut rajouter le poids de la pâte… environ 18kg… pâte que je divise ensuite en 6 pâtons d’environ 3 kg. Ces pâtons sont ensuite aplatis, déposés sur plaque et mis au congélateur. Le froid est primordial pour la réalisation des viennoiseries. Pendant la période de froid, le beurre de tourage (qui a une température de fusion plus élevée que le beurre classique) est mis en forme pour ensuite pouvoir être « enchâssé » dans la pâte.
Les pâtons de pâte sont sortis du congélateur, puis on les abaisse au laminoir en forme rectangulaire, on place le beurre de tourage à l’intérieur et on referme ! Une fois le beurre à l’intérieur, l’abaisse est passée à nouveau au laminoir en descendant progressivement les rouleaux grâce à la molette. Un bouton de chaque côté du laminoir permet de faire basculer le pâton sous les rouleaux de l’autre côté. Une fois l’épaisseur et la taille de l’abaisse satisfaisantes (on doit obtenir un grand rectangle), on repli comme un livre en faisant un tour double. On met le pâton une nouvelle fois au laminoir, on abaisse encore et on réalise cette fois ci un tour simple. Une fois les 6 pâtons réalisés, on les replace au froid pendant environ 1 heure. Pendant ce temps là je vais réaliser des bananas bread ! 31 bananes, du sucre, du buttermilk, de la cannelle, du chocolat, de la farine, du beurre, des noix, ça en fait de la quantité. Je remplis 5 grands moules et 2 petits, on a de quoi voir venir.
E. me dit que c’est l’heure de réaliser les croissants et les pains au chocolat ! Bonne nouvelle, c’est vraiment la base de la viennoiserie ! Les pâtons beurrés et feuilletés sont sortis du froid, ils passent une nouvelle fois au laminoir pour être abaissés et permettre le détaillage. Pour les croissants, il faut réaliser un triangle que l’on vient par la suite rouler sur lui-même. Pour les pains au chocolat, il faut réaliser un rectangle que l’on roule également sur lui-même en y ajoutant deux barres de chocolat. Je remarque là encore ma lenteur, quand j’en façonne un E. en a déjà façonné 3. Mais je n’ai pas non plus deux mains gauches, je sais que la vitesse viendra avec le temps !

Vendredi 12 septembre, 2h30 : J’émerge du sommeil 2 minutes avant que mon réveil ne sonne, il est 2h28, je crois que mon horloge interne commence à s’habituer cette heure atypique.
Toujours la même routine, café, préparation, chats, trottinette. A la boulangerie, beaucoup de préparations sont réalisées le vendredi pour le samedi qui est le plus gros jour de la semaine.
Je commence ma journée par préparer l’appareil à quiche qui est similaire à celui que l’on peut faire à la maison, il faut juste s’imaginer que les quantités sont démultipliées. Ce sera des quiches aux légumes, légumes que R. avait préparé la veille pour réaliser ses sandwichs et ses salades. Les fonds de quiche sont déjà préparés, il n’y a plus qu’à assembler, un peu de poivrons, de courgettes, de potirons, d’oignons et de gruyère râpé. Ça change de faire du salé.
C’est aujourd’hui que j’apprends à foncer une tarte, c’est pas aussi simple qu’il n’y parait parce qu’il faut faire entrer la pâte dans le cercle en appuyant sans la déchirer. C’est fou, même les actions les plus simples demandent de l’entrainement. E. me rassure en me disant que ce n’est pas grave si je déchire légèrement la pâte, par contre c’est plus problématique si c’est pour des quiches.
Je rejoins ensuite PF. qui me fait pétrir de la pâte viennoise que l’on va ensuite diviser en plusieurs pâtons pour faire différents goûts : praline rose, chocolat noir, chocolat blanc et zeste de citron. Chaque pâton est boulé à la sortie du pétrissage puis est détaillé en boules de différents grammages. Le boulage est un geste assez naturel je trouve, peut être parce que j’ai pu m’entrainer lors de la réalisation de pizzas maisons. On discute un peu du métier de boulanger, il me présente les différentes recettes qu’il propose et comment il agence son planning. Il me répète à nouveau que pour être un bon boulanger, tout est une question d’organisation. Les pétrins doivent être en train de tourner, les différents pains doivent être en fermentation (pointage ou apprêt) ou en cuisson. Avoir une bonne organisation c’est s’assurer de respecter la commande du jour et ne pas se laisser déborder. Je comprends la théorie, il va ensuite falloir l’assimiler et la mettre en pratique… et ça demande une gymnastique intellectuelle particulière où il n’y a pas de place à l’improvisation.

Samedi 13 septembre, 2h30 : Après une courte nuit (malgré mes deux heures de sieste vendredi en fin d’après-midi), me revoilà d’attaque pour attaque cette journée. Comme la semaine dernière, E. me demande de réaliser la « sauce grand mère » pour la tarte aux pommes. Puis, je découvre un ustensile qui permet de couper les pommes tout en enlever la peau et le centre, le pèle pomme. Le principe est simple, on rentre les pics du pèle pomme dans la pomme, puis on tourne la manivelle jusqu’à ce qu’elle soit totalement épluchée ! Facile. Je prépare ensuite une sorte de pudding composé de lait, de crème et de sucre chauffés jusqu’à ébullition, auxquels on rajoute de la coco et des graines de chia. On filme le tout au contact, on laisser reposer avant de rajouter du lait. Ca me permet de faire une parenthèse sur l’utilisation des plaques de cuisson à induction portatives pour professionnels, on se croirait dans Top Chef. C’est pratique, ça chauffe bien et ça se range facilement. Elles sont surtout utilisées en cuisine mais ici elles servent essentiellement à la réalisation des différentes crèmes comme la crème pâtissière ou pour l’utilisation du chocolat.
Avec la pate feuilletée, on va faire des chaussons aux pommes avec E. La pâte feuilletée est abaissée, comme pour les croissants, et est déposée sur le plan de travail. Là, il me montre l’utilisation de l’emporte pièce ovale spécifique pour les chaussons, le but étant de faire le maximum de chaussons en ayant le moins de chutes possible (les chutes sont conservées et seront réutilisées plus tard). Une cinquantaine de chaussons sont détaillés et passés au froid pour éviter que la pâte ne colle. Puis, ils sont passés une nouvelle fois au laminoir pour les agrandir. Il se met d’un côté du laminoir, moi, de l’autre, il envoie les chaussons sous les rouleaux, je les récupère plus allongés et les place  sur une plaque avec un papier sulfurisé. Ca va repartir au froid un court instant avant de les disposer sur la plan de travail. Avec un pinceau et de l’eau, je fais un arc de cercle sur la moitié inférieure du chausson.  L’eau va permettre à la pate de bien coller quand on va refermer le chausson. E. dispose la compote de pommes au centre, puis le chausson est refermé.
Côté boulangerie, je réalise à nouveau les ficelles au chorizo qui sont placées sur des plaques à baguettes graissées. Je m’y prends mieux que la dernière fois, je me sens légèrement plus à l’aise avec la pâte. Je façonne ensuite quelques traditions et PF. me demande de lancer les pétrissages du pain d’antan et du pain au sarrasin. Il me donne les recettes pour 1kg de farine, puis les protocoles à savoir les temps et vitesse de pétrissage (qui ne sont au final que des indications car seul le visuel et la texture de la pâte comptent). Il me dit de faire ces recettes pour 2kg de farine à chaque fois, il faut donc multiplier tous les ingrédients par deux. Dans le doute je sors quand même mon téléphone en mode calculatrice, juste pour être sur. A la fin de chaque pétrissage, la pâte est laissée dans la cuve pendant environ 30 minutes, elle « pointe » (c’est la première période de fermentation de la pâte). Les 30 minutes passées, je sors la pâte de la cuve et la place sur le plan de travail fariné et je fais ce qu’on appelle un rabat. Cela consiste à rabattre la pâte sur elle même en plusieurs fois pour lui « donner de la force ». Elle est ensuite placée dans un bac, couverte pour ne pas qu’elle croûte et placée au frigo  pour qu’elle fermente lentement. Je reviens sur le terme « donner de la force », en boulangerie la notion de force correspond aux qualités physiques de la pâte, la ténacité (capacité d’une pâte à s’opposer à sa déformation), l’extensibilité (capacité d’une pâte à se déformer), l’élasticité (capacité d’une pâte à retrouver sa forme d’origine après allongement). Donner de la force à la pâte signifie donc augmenter la ténacité de la pâte et diminuer son extensibilité. Un excès de force, et donc de ténacité, rend l’allongement de la pâte difficile. A l’inverse, un manque de force, et donc de ténacité, entraine un manque de tenue de la pâte. Même si le métier de boulanger est avant tout un métier manuel dans lequel il faut « comprendre » la pâte et ajuster ses actions en fonction de son état, il existe toute une science derrière qu’il me parait important de connaitre.

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